Gabon : la post-transition à l’épreuve des investisseurs | Gabonreview.com | Actualité du Gabon |

Malgré le retour à l’ordre constitutionnel au Gabon, les marchés financiers restent, eux, sur leur réserve. Dans sa dernière note de conjoncture, la Banque mondiale souligne une reprise hésitante, une dette publique sous pression et une méfiance persistante des investisseurs internationaux malgré les efforts de stabilisation. Ce paradoxe interroge : pourquoi la légalité retrouvée ne suffit-elle pas à restaurer la crédibilité économique du pays ?

Les marchés n’achètent pas des discours, ils investissent dans la prévisibilité. © GabonReview
La démocratie, en théorie, rassure les investisseurs. Mais au Gabon, le retour à l’ordre constitutionnel semble n’avoir suscité qu’un haussement d’épaules sur les marchés. La présidentielle d’avril 2025, saluée par l’Union africaine comme «transparente et pacifique», n’a pas suffi à dissiper les doutes profonds qui pèsent sur l’économie. Car la confiance, elle, ne se décrète pas : elle se gagne, se construit, et surtout se mesure, à l’aune des fondamentaux macroéconomiques.
Une stabilité politique fragile selon les jugements impitoyables des marchés
La victoire écrasante de Brice Clotaire Oligui Nguema (90,35 % des voix) et l’adoption d’une nouvelle Constitution auraient pu offrir au Gabon un répit, voire un regain de crédit. Pourtant, la note de conjoncture de la Banque mondiale, publiée il y a quatre semaines, tempère rapidement tout optimisme excessif : «Les perspectives macroéconomiques restent marquées par un risque élevé de détérioration.» Les agences de notation ne disent pas autre chose : Fitch maintient la note souveraine du pays à CCC, un niveau ultra-spéculatif qui traduit un risque de défaut jugé très probable.
Pourquoi une telle sévérité ? Parce que, derrière le vernis institutionnel, les déséquilibres restent criants. Le déficit budgétaire s’est creusé à 3,7 % du PIB en 2024, les arriérés de paiement ont atteint près de 3 %, et la dette publique frôle désormais les 75 % du PIB selon Fitch. Comme le résume la Banque mondiale dans un passage sans appel, le Gabon «reste vulnérable aux chocs de prix, au resserrement des conditions de financement, et à une faible mise en œuvre des réformes.»
Les signaux envoyés par le gouvernement n’ont pourtant pas manqué. Forum économique Gabon-France, plan de développement 2024–2026, diversification vers les mines, le bois, et l’agriculture… Les annonces se multiplient, tout comme les engagements internationaux. Mais pour les marchés, les mots n’ont de poids qu’accompagnés de preuves tangibles.
Entre réformes proclamées et incertitudes budgétaires
C’est précisément là que le bât blesse. Si la Banque mondiale reconnaît «une amélioration relative du cadre budgétaire» depuis fin 2023, elle pointe aussi «une transparence encore insuffisante dans l’exécution des dépenses publiques» et un risque croissant lié à la stratégie d’endettement. Le recours massif aux marchés régionaux – pourtant salué pour son taux de souscription élevé – n’est pas une garantie de stabilité, surtout dans un contexte de resserrement monétaire global.
Les performances ponctuelles, telles que le rachat anticipé des eurobonds de 2025, masquent mal une réalité plus structurelle : les dépenses courantes restent élevées, la masse salariale publique représente 6,9 % du PIB, et les recettes non pétrolières stagnent. Résultat : la trajectoire budgétaire, même avec les prévisions de croissance (2,4 % entre 2025 et 2027), ne convainc pas encore.
Au fond, la méfiance actuelle traduit un jugement plus global sur la gouvernance économique du pays. Comme l’indique finement la Banque mondiale, «le principal risque interne est lié à une mise en œuvre incomplète ou inéquitable des réformes.» Cela vaut autant pour la politique fiscale que pour la gestion de la dette ou la transparence budgétaire.
Les investisseurs, eux, ne regardent pas uniquement les urnes : ils scrutent les bilans, les ratios, les tableaux de bord. Et si la stabilité politique est une condition nécessaire à la confiance, elle n’en est pas une condition suffisante. Il faut désormais prouver que l’État gabonais peut gérer ses finances, rendre ses politiques prévisibles, et tenir ses engagements… sans dépendre éternellement de ses hydrocarbures. Autrement dit, le Gabon est à un carrefour. Il ne lui manque pas la parole : il lui faut la preuve.