Brice Laccruche Alihanga : «J’ai dit non au prince qui voulait devenir roi» | Gabonreview.com | Actualité du Gabon |

Retour d’un survivant dans l’arène politique gabonaise. À quatre semaines des législatives et locales, l’ancien directeur de cabinet d’Ali Bongo signe un retour médiatique de haute intensité. Dans le Journal Afrique du 4 août 2025 (TV5Monde), le désormais conseiller stratégique de l’Union démocratique des bâtisseurs (UDB), Brice Laccruche Alihanga (BLA) livre une version rugueuse de sa chute, de sa détention et de sa ligne politique d’aujourd’hui.

Brice Laccruche sur TV5 monde : «Ce système Bongo-Valentin, c’est une mafia, c’est un cartel… Une fois dedans, quand vous sortez, il n’y a que deux issues :c’est la mort ou la prison.» © GabonReview (capture d’écran)
Dans un entretien d’une intensité rare, accordé le 4 août 2025 au Journal Afrique de TV5Monde, Brice Laccruche Alihanga, ancien directeur de cabinet d’Ali Bongo Ondimba et jadis figure cardinale du pouvoir, a livré un témoignage qui a la force d’une déflagration politique. Entre souvenirs de geôle, confidences amères et accusations frontales, il dresse le portrait d’un régime verrouillé jusqu’à l’asphyxie, où la loyauté absolue était exigée, et la dissidence, condamnée.
Ce retour médiatique, à quelques semaines des législatives et locales, n’est pas qu’une prise de parole : c’est une mise en accusation, méthodique et implacable, de l’ère Bongo-Valentin, une plongée dans l’arrière-cuisine du pouvoir gabonais, que l’intéressé qualifie, sans détour, de «cartel» et de «mafia».
Le “non” qui a tout déclenché
Le point de rupture se joue, raconte-t-il, en novembre 2019, dans l’intimité du domicile de Noureddin Bongo Valentin. La scène tient du huis clos politique : «Mon grand-père Omar Bongo était président du Gabon, mon père Ali Bongo est président du Gabon… et moi je serai président du Gabon. Est-ce que tu es avec moi ou contre moi ?»
Laccruche Alihanga, alors au sommet de sa carrière politique, mesure l’enjeu. Son refus claque comme un affront : «Et quand je dis non au prince qui voulait devenir roi à tout prix, je signe mon arrêt de mort.»
Ce “non” ouvre un cycle de représailles d’une brutalité chirurgicale. Arrêté, il est soumis à un régime d’isolement total pendant quatre ans, dans une cellule de six mètres carrés, sans promenade, sans visite, sans lecture : «Je faisais mes besoins à l’endroit même où je dormais», «Je n’arrivais pas à distinguer le jour de la nuit.»
Il en sort en octobre 2023, vivant, mais diminué : un cancer du côlon, quarante kilos en moins. Et il affirme que près de 300 autres personnes (parents, proches, alliés) ont subi le même traitement.
Le système, entre allégeance et élimination
Les mots qu’il emploie sont froids et sans ambiguïté : «ce système Bongo-Valentin, c’est une mafia, c’est un cartel. Une fois que vous êtes rentré, vous ne pouvez plus en sortir comme ça. […] Une fois dedans, quand vous sortez, il n’y a que deux issues : c’est la mort ou la prison.»
Pour illustrer la mécanique d’humiliation et de menace, il cite un épisode glaçant : la visite, en pleine détention, de Yan Goulou, directeur de cabinet de Noureddin : «Il est venu dans ma cellule, il m’a clairement dit : Écoute, je porte tes vêtements, j’habite ta maison et après les élections […] je te mettrai 25 à 30 ans, c’est décidé !»
Pour lui, cette phrase résume la logique d’un pouvoir qui confondait rivalité politique et anéantissement physique.
Du sérail à l’UDB : un retour calculé
Aujourd’hui, Brice Laccruche Alihanga n’a pas repris une carrière “opérationnelle” mais endosse le rôle de conseiller stratégique au sein de l’Union Démocratique des Bâtisseurs, parti du président Brice Oligui Nguema. Il insiste : 95 % des cadres sont nouveaux, et l’inclusivité est le maître mot. «Entre un système figé depuis soixante ans et une offre politique nouvelle, il faut laisser la chance au renouveau.»
En filigrane, il s’adosse au récit du changement porté par Oligui Nguema, tout en capitalisant sur son expérience du sommet de l’État ; une façon de se poser en éclaireur revenu de l’abîme, capable d’identifier les dérives à éviter.
À ceux qui prônent une commission “vérité, justice et réconciliation”, il oppose la priorité d’une justice instruisant les dossiers «de manière correcte» : «Je suis venu trois ou quatre fois en France me faire soigner. Pourtant, à l’heure de mon procès, je me suis rendu à Libreville, parce que le Gabon est mon pays, j’ai assumé ma responsabilité. […] Et j’attends de même à ce qu’aujourd’hui, certains qui ont été libérés, qui sont à Londres, et qui sont en train de se faire soigner, puissent répondre de leurs actes quand la justice gabonaise qui est souveraine se rappelle à eux.»
Cette posture – accepter le face-à-face judiciaire – lui sert à se démarquer de ses anciens adversaires, et à s’afficher comme un acteur qui assume, même au prix de son corps brisé.
Un témoignage qui pèse sur la campagne
Cet entretien n’est pas qu’un règlement de comptes. Il s’inscrit dans un contexte électoral où le discours du “renouveau” est l’axe central de l’UDB. En choisissant de raconter la tentative de transmission héréditaire du pouvoir, la répression carcérale et la structure quasi-clanique de l’ancien régime, Brice Laccruche Alihanga ne se contente pas de se réhabiliter : il mine la légitimité de ceux qui incarnent encore l’ancienne garde.
Mais cette offensive narrative soulève aussi une question cruciale : peut-on être à la fois l’ancien pilier d’un régime et l’un des porte-voix de sa rupture ? Le Gabon, encore marqué par six décennies de règne sans partage, tranchera dans les urnes, et dans le temps… l’autre nom de Dieu, pour parler comme Laurent Gbagbo.