Les enjeux culturels des prochaines joutes électorales | Gabonreview.com | Actualité du Gabon |

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À l’approche de l’élection présidentielle, la récente reconfiguration ministérielle séparant Culture et Jeunesse envoie un signal fort aux acteurs culturels gabonais. Entre stratégie sous-régionale de la CEMAC et initiatives locales en quête de reconnaissance, le secteur culturel pourra-t-il enfin peser dans les débats électoraux ? Hugues-Gastien Matsahanga examine les enjeux d’un domaine qui, malgré son potentiel, représente moins de 1% du PIB national.

Rattrapés par une actualité politique électorale, les enjeux culturels pourraient s’inviter dans un débat au cœur duquel ils ne sont pas souvent attendus. © GabonReview

 

La nomination d’un nouveau ministre en charge de la Culture a marqué un tournant décisif dans le positionnement de ce département au sein de l’échiquier gouvernemental. Au-delà du casting, la dissociation du département de la Culture de celui de la Jeunesse et des Sports semble s’être imposée comme un message fort à l’endroit des artistes et acteurs du monde culturel. La cadence politique qui pourrait s’accélérer avec la tenue prochaine de l’élection présidentielle saura-t-elle servir de tribune aux artistes pour faire entendre leur voix ?

L’actualité du mois écoulé a été riche en initiatives et événements culturels majeurs. Il y a tout d’abord cette réunion des acteurs culturels des six États membres de la CEMAC tenue le 27 février 2025 au ministère de la Culture et des Arts avec pour objectif d’élaborer une stratégie culturelle sous-régionale et un plan d’action pour renforcer la coopération et l’intégration dans le domaine culturel. Cette initiative qui vise à promouvoir le patrimoine, lutter contre le trafic illicite des biens culturels et dynamiser les industries créatives a trouvé un écho favorable auprès des acteurs du secteur, d’autant qu’elle devrait permettre aux gouvernants de disposer d’un outil stratégique susceptible de favoriser la coopération et l’intégration régionale en matière de développement culturel.

Au cours des travaux, les discussions se sont articulées autour de quatre principaux : 1. la promotion des valeurs culturelles et du patrimoine, 2. la lutte contre le trafic illicite et la restitution des biens culturels, 3. le développement des industries culturelles et créatives, et 4. le renforcement des liens entre culture et éducation pour favoriser l’emploi et la cohésion sociale. Tout un programme qui n’attend désormais que la mobilisation des ressources et sa mise œuvre.

La nécessaire continuité des actions et programmes antérieurs

Cette initiative multilatérale, soutenue et encadrée par l’Unesco se veut donc être un catalyseur d’actions pour aboutir à un outil sous-régional susceptible de permettre de répondre aux attentes des acteurs culturels et plus généralement du renforcement des industries culturelles et créatives.

Mais au-delà des grandes intentions, pour que ce type de démarches soient efficaces et profitables pour les acteurs locaux, elles doivent s’inscrire dans la continuité des programmes et actions antérieures déployés par les gouvernements de chaque pays impliqué. Sachant qu’il existe aussi des engagements culturels multilatéraux avec d’autres organismes tels que la CEEAC (Communauté Économique des États de l’Afrique centrale), l’Union Européennes et l’Organisation Intergouvernementale de la Francophonie (OIF). C’est sans doute en cela que la collecte des suggestions et des idées auprès des acteurs a pu s’avérer utile pour accompagner et renforcer l’élaboration des futures politiques sectorielles et plus largement, la stratégie culturelle régionale impulsée par la CEMAC (Communauté Économique et Monétaire des États de l’Afrique centrale). Des synergies devraient donc s’avérer nécessaires pour opérer des mises à jour dans l’identification des champs des industries culturelles, éviter les doublons, délimiter les secteurs d’intervention de chaque organisation et harmoniser les actions.

Si les fruits de telles programmes ne sont récoltés que dans un temps très long, les parties prenantes engagées sur le terrain, n’attendent pas moins un appui institutionnel fort à court et moyen terme. C’est la raison pour laquelle des initiatives locales impulsées par des opérateurs culturels privés et indépendant, tels que la plateforme Dengui, le Centre Culturel Mighoma ou encore le Festival Black History Arts et bien d’autres encore, méritent d’être durablement soutenus, ou tout au moins accompagnés par un appui institutionnel significatif.

Les enjeux culturels des prochaines joutes électorales

La vie politique qui inscrit le présent dans le temps long peut aussi faciliter la compréhension des enjeux culturels actuels. Rattrapé par une actualité politique électorale, ces enjeux culturels pourraient s’inviter dans un débat au cœur duquel ils ne sont pas souvent attendus. Au Gabon, c’est bien connu, la culture et les arts ont toujours été une thématique secondaire lors des campagnes présidentielles. Ce secteur a souvent été absent des débats de fond et des préoccupations des candidats, à l’exception des meetings où ils ne semblent mis à contribution que pour égayer la foule.

En 2024, le budget dédié au ministère de la Culture et des Arts dans la Loi des finances était estimé à plus de 9,8 milliards de francs CFA. De même, avec moins de 1% du PIB, le poids du secteur culturel dans l’économie du pays n’est que le reflet de l’intérêt qu’on lui accorde en fonction d’évidents impératifs régaliens et prioritaires. D’ailleurs, dans le Plan National de Développement de la Transition (PNDT, Mars 2024), le secteur de la Culture et des Arts n’apparait ni au rang des défis, ni parmi les 7 piliers d’orientation stratégique sectorielle.

Pourtant, dans la nouvelle Constitution issue du Dialogue National Inclusif d’Avril 2024 et approuvée par référendum en Novembre de la même année, la République Gabonaise affirme « son attachement fondamental à ses valeurs culturelles » et proclame « solennellement son attachement à ses valeurs sociales profondes et traditionnelles, à son patrimoine culturel matériel et spirituel, au respect des libertés, des droits et des devoirs du citoyen ».

La vision culturelle des prochains gouvernants devrait donc être alignée sur les ambitions de la Constitution et portée par les orientations stratégiques fortes au service d’une Politique Culturelle pertinente. Il faudrait acter cet engagement à travers une Charte culturelle pour formaliser les nouvelles orientations déclinées à travers les grands axes normatifs. Cette Loi pourrait par exemple permettre d’institutionnaliser un Fonds d’Aide à la Création Artistique et aux Initiatives Culturelles et aussi engager d’autres reformes d’intérêt en appui au développement des ICC.

Il en est de même pour la mise en œuvre de la Loi sur le statut de l’artiste à travers ses très attendus décrets d’application, la préservation du patrimoine culturel et autres diverses réformes en lien avec les droits d’auteur. Les candidats engagés dans la course électorale devront ainsi affirmer une vision claire pour la gestion des affaires culturelles et espérer s’attirer les faveurs des acteurs de ce secteur.

A la recherche d’un épicentre culturel national

Tout au long de la Transition qui s’achève, l’action culturelle voulue par les gouvernants s’est surtout articulée autour de la « préservation du patrimoine matériel et immatériel ». C’est du moins ce qui est ressorti des travaux de la Commission dédié à la Culture lors du Dialogue National Inclusif.

La promotion de la culture devrait donc figurer en bonne place au cœur des propositions des candidats. Il faudrait un budget conséquent qui tienne compte du développement de l’entreprenariat culturel dans toute sa diversité et sa spécificité : Éditeurs indépendantes, cinémas, salles de concert, et lieux physiques pour le spectacle vivant. La défense de l’exception culturelle gabonaise à travers la diversité de son offre et l’indépendance de ses industries culturelles passera inéluctablement par la création d’une institution de référence sous la forme d’un Centre Culturel National.

À la veille du 65e anniversaire de l’Indépendance que nous commémorerons en août prochain, cette refonte des politiques publiques culturelles pourrait s’avérer nécessaire pour ouvrir de nouvelles perspectives et défendre durablement les créateurs. Comme le dit un adage « Dans un monde où les opportunités sont parfois rares, l’apprentissage des métiers artistiques permet aux jeunes de créer leur propre chemin solide et pérenne. »