[Paru sur le Gabon] «Le putsch était presque parfait» : le lieutenant Kelly avant le général Oligui | Gabonreview.com | Actualité du Gabon |
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Dans sa série « Le putsch était presque parfait », Jeune Afrique revient sur les tentatives de coups d’État manquées en Afrique. L’épisode consacré au Gabon, publié le 31 juillet 2025 et signé Mathieu Olivier, explore l’opération avortée du lieutenant Kelly Ondo Obiang, ce militaire alors inconnu du grand public qui, dès janvier 2019, avait tenté de sonner le glas du régime Bongo, bien avant l’actuel président de transition, Brice Clotaire Oligui Nguema. Un récit haletant, presque cinématographique, où le tragique côtoie l’absurde, et où les minutes perdues pèsent aussi lourd que les armes non tirées. Rétroviseur.

Rétroviseur : le 7 janvier 2019, le lieutenant Kelly Ondo Obiang annonce la destitution du président, Ali Bongo Ondimba. Mais l’opération fait pschitt, et le mutin est interpellé quelques heures plus tard. © GabonReview (capture d’écran)
C’est un matin d’illusion et de fracas. Le 7 janvier 2019, les Gabonais sont tirés de leur sommeil par une proclamation militaire étrange et solennelle, émise depuis les studios de la radio-télévision nationale. Un inconnu au ton grave, béret vissé sur la tête et verbe gaullien, annonce la chute du régime. Son nom : Kelly Ondo Obiang. Son objectif : sauver la République, rétablir la dignité d’un pays qu’il estime pris en otage par des courtisans sans scrupules. L’opération durera moins de huit heures. Mais ce bref soubresaut militaire, ramené au souvenir brio par Mathieu Olivier dans Jeune Afrique, précède de quatre ans le renversement effectif d’Ali Bongo Ondimba. Et déjà, tout y était.
Une mise en scène dramatique à l’ombre d’un malade
Le décor est posé : Ali Bongo, convalescent au Maroc après un AVC, est perçu comme un pantin. Le lieutenant Kelly Ondo Obiang, jeune béret vert de la Garde républicaine, entend rétablir l’ordre constitutionnel et la souveraineté populaire. Il s’empare de la radio nationale à 4 heures du matin avec quatre complices et neutralise les gendarmes en poste. Il attend, fébrile, l’arrivée des techniciens pour diffuser le message de son Mouvement patriotique des jeunes des forces de défense et de sécurité (MPJFDS). Ce laps de temps – une heure – sera fatal.
À 5h30, le message est enfin lu à l’antenne : «Réveillez-vous comme un seul homme, prenez le contrôle de la rue (…) jusqu’à ce que nous mettions hors d’état de nuire tous les ennemis de la patrie», répète-t-il en boucle. Mais Libreville ne se réveille pas. Quelques barricades timides surgissent, vite balayées. La capitale reste sourde à l’appel.
Frédéric Bongo, l’ombre du frère et le sabre de la riposte
Pendant que le jeune officier campe ses illusions dans les studios, l’autre camp affûte sa réplique. Frédéric Bongo Ondimba, demi-frère du président et patron des services spéciaux, déclenche la contre-offensive. À 6h30, les blindés convergent vers la radio-télévision. Le signal est coupé. Le siège commence. Les putschistes se retranchent dans une salle, prennent les techniciens en otage. À 9h30, l’assaut est donné. Deux hommes sont abattus. Ondo Obiang, introuvable, est finalement retrouvé caché dans le bâtiment puis transféré au tristement célèbre «B2». Le rêve d’un autre Gabon s’éteint dans le vacarme d’une opération devenue absurde.
Jugé en 2021, Kelly Ondo Obiang plaide le patriotisme : il n’aurait pas fomenté un coup d’État, mais tenté d’empêcher celui de Frédéric Bongo. Sans preuves, il écope de quinze ans de détention. Il n’est ni martyrisé ni glorifié, simplement oublié.
Du cachot à la reconnaissance différée
Mais l’histoire a une ironie cruelle : en août 2023, alors qu’il purge sa peine, un autre putsch, réussi, cette fois, fait tomber Ali Bongo. À sa tête, un autre officier de la Garde républicaine : le général Brice Clotaire Oligui Nguema.
Le parallèle est troublant. Et Jeune Afrique le souligne avec finesse. En février 2025, Oligui évoque son «petit frère Kelly», et se dit favorable à sa libération anticipée. Pour les fidèles de l’ancien lieutenant, le vrai crime n’a jamais été l’insurrection, mais l’audace d’avoir vu clair trop tôt. L’Histoire ne lui a pas encore pardonné d’avoir devancé son temps… et son général.